Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, sous le numéro 2015-722 DC le 12 novembre 2015, par MM. Bruno RETAILLEAU, ....... sénateurs.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu le code de la sécurité intérieure ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 23 novembre 2015 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que plus de soixante sénateurs défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales ; qu'ils demandent au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité au droit au respect de la vie privée, au secret des correspondances et au droit à un recours juridictionnel effectif des articles L. 854-1, L. 854-2, L. 854-5 et L. 854-9 du code de la sécurité intérieure tels qu'ils résultent de l'article 1er de la loi ;
- SUR LES NORMES DE RÉFÉRENCE :
2. Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis ; qu'au nombre de ces derniers figurent le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
3. Considérant qu'en vertu de l'article 5 de la Constitution, le Président de la République est le garant de l'indépendance nationale et de l'intégrité du territoire ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 20 : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation » ; qu'en vertu de l'article 21, le Premier ministre « dirige l'action du Gouvernement » et « est responsable de la Défense nationale » ; que le secret de la défense nationale participe de la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, au nombre desquels figurent l'indépendance de la Nation et l'intégrité du territoire ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif ;
- SUR CERTAINES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 1er :
5. Considérant que le 1° de l'article 1er de la loi déférée insère dans le titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure un chapitre IV, comprenant les articles L. 854-1 à L. 854-9, consacré aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales ; que les articles L. 854-1, L. 854-2, L. 854-5 et les premier à troisième et le sixième alinéas de l'article L. 854-9 sont relatifs aux conditions de mise en œuvre de mesures de surveillance des communications électroniques internationales ainsi qu'aux conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés, sous le contrôle de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ; que les quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 854-9 sont relatifs à la procédure juridictionnelle de contrôle de ces mesures de surveillance ;
. En ce qui concerne les articles L. 854-1, L. 854-2, L. 854-5 et les premier à troisième et le sixième alinéas de l'article L. 854-9 du code de la sécurité intérieure :
6. Considérant que l'article L. 854-1 autorise la surveillance des communications qui sont émises ou reçues à l'étranger et délimite le champ de celles de ces communications qui sont susceptibles de faire l'objet de mesures de surveillance dans les conditions prévues par les autres dispositions du chapitre IV du titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure ; que cet article prévoit que les mesures prises à ce titre ne peuvent avoir pour objet d'assurer la surveillance individuelle des communications de personnes utilisant des numéros d'abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national, à l'exception du cas où ces personnes communiquent depuis l'étranger et, soit faisaient l'objet d'une autorisation d'interception de sécurité délivrée en application de l'article L. 852-1, soit sont identifiées comme présentant une menace au regard des intérêts fondamentaux de la Nation ; qu'hormis ces hypothèses, les communications électroniques qui sont échangées entre des personnes ou des équipements utilisant des numéros d'abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national, lorsqu'elles sont interceptées au moyen des mesures de surveillance prévues par le chapitre IV susmentionné, sont instantanément détruites ;
7. Considérant que l'article L. 854-2 détermine la procédure d'autorisation de mise en œuvre des mesures de surveillance des communications électroniques internationales ; que son paragraphe I fixe les conditions dans lesquelles l'interception des communications émises ou reçues à l'étranger est autorisée ; que son paragraphe II prévoit les conditions dans lesquelles les données de connexion ainsi interceptées peuvent faire l'objet d'une exploitation non individualisée ; que son paragraphe III détermine les conditions dans lesquelles les communications et les données de connexion ainsi interceptées peuvent être exploitées, y compris de manière individualisée ;
8. Considérant que l'article L. 854-5 fixe les durées maximales de conservation des renseignements collectés par la mise en œuvre des mesures de surveillance des communications électroniques internationales, exception faite des correspondances interceptées qui renvoient à des numéros d'abonnement ou à des identifiants techniques rattachables au territoire national ; que ces durées sont d'un an à compter de leur première exploitation, dans la limite de quatre ans à compter de leur recueil pour les correspondances interceptées, de six ans à compter de leur recueil pour les données de connexion et de huit ans à compter de leur recueil pour les renseignements chiffrés ;
9. Considérant que les premier à troisième et le sixième alinéas de l'article L. 854-9 sont relatifs aux pouvoirs dont dispose la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement pour vérifier si les mesures de surveillance internationale sont régulièrement mises en œuvre ;
10. Considérant, en premier lieu, que le recueil de renseignement au moyen des mesures de surveillance prévues au chapitre IV du titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure par les services spécialisés de renseignement pour l'exercice de leurs missions respectives relève de la seule police administrative ; qu'il ne peut donc avoir d'autre but que de préserver l'ordre public et de prévenir les infractions ; qu'il ne peut être mis en œuvre pour constater des infractions à la loi pénale, en rassembler les preuves ou en rechercher les auteurs ;
11. Considérant, en deuxième lieu, que l'article L. 854-1 permet la surveillance « aux seules fins de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l'article L. 811-3 » ; qu'ainsi, le législateur a précisément circonscrit les finalités permettant de recourir au régime d'autorisation des mesures de surveillance des communications émises ou reçues à l'étranger prévu par l'article L. 854-1 et n'a pas retenu des critères en inadéquation avec l'objectif poursuivi par ces mesures de police administrative ;
12. Considérant, en troisième lieu, que l'autorisation d'intercepter des communications électroniques émises ou reçues à l'étranger est délivrée par le Premier ministre et désigne les réseaux de communication sur lesquels les interceptions sont admises ; que l'autorisation d'exploiter ces interceptions est délivrée par le Premier ministre ou par l'un de ses délégués sur demande motivée des ministres de la défense, de l'intérieur ou chargés de l'économie, du budget ou des douanes ou de leurs délégués ; que cette exploitation est réalisée par un service spécialisé de renseignement ; que les autorisations d'interception ou d'exploitation sont délivrées pour une durée limitée ; que l'autorisation d'exploiter de manière non individualisée les données de connexion interceptées précise le type de traitements automatisés pouvant être mis en œuvre ;
13. Considérant, en quatrième lieu, que le législateur a prévu des durées de conservation en fonction des caractéristiques des renseignements collectés ainsi qu'une durée maximale de conservation de huit ans à compter du recueil des renseignements chiffrés, au-delà desquelles les renseignements collectés doivent être détruits ; qu'en outre, en vertu de l'article L. 854-6, les transcriptions ou extractions doivent être détruites dès que leur conservation n'est plus indispensable à la poursuite des finalités mentionnées à l'article L. 811-3 ;
14. Considérant, en cinquième lieu, que le législateur a prévu que la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement reçoit communication de toutes les décisions et autorisations du Premier ministre mentionnées à l'article L. 854-2 et qu'elle dispose d'un accès permanent, complet et direct aux dispositifs de traçabilité, aux renseignements collectés, aux transcriptions et extractions réalisées ainsi qu'aux relevés mentionnés au quatrième alinéa de l'article L. 854-6 retraçant les opérations de destruction, de transcription et d'extraction ; que la commission peut solliciter du Premier ministre tous les éléments nécessaires à l'accomplissement de sa mission ; que sont applicables aux contrôles pratiqués par la commission sur les mesures de surveillance internationale les dispositions de l'article L. 833-3 qui réprime de peines délictuelles les actes d'entrave à l'action de la commission ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les dispositions des articles L. 854-1, L. 854-2, L. 854-5 et des premier à troisième et sixième alinéas de l'article L. 854-9 ne portent pas d'atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances ; que le législateur a précisément défini les conditions de mise en œuvre de mesures de surveillance des communications électroniques internationales, celles d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés ainsi que celles du contrôle exercé par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ; que ces dispositions doivent être déclarées conformes à la Constitution ;
. En ce qui concerne les quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 854-9 du code de la sécurité intérieure :
16. Considérant que le quatrième alinéa de l'article L. 854-9 prévoit que la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement exerce son contrôle de sa propre initiative ou sur réclamation de toute personne souhaitant vérifier qu'aucune mesure de surveillance n'est ou n'a été mise en œuvre irrégulièrement à son égard ; que, lorsqu'elle est saisie d'une réclamation, la commission indique à son auteur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires, sans confirmer ni infirmer la mise en œuvre de mesures de surveillance ;
17. Considérant que le cinquième alinéa de ce même article est relatif aux pouvoirs de la commission lorsqu'elle constate qu'un manquement a été commis dans la mise en œuvre d'une mesure de surveillance internationale ; que la commission adresse au Premier ministre une recommandation tendant à ce que le manquement cesse et que les renseignement collectés soient, le cas échéant, détruits ; que, si le Premier ministre n'a pas donné suite ou a insuffisamment donné suite à cette recommandation, le président de la commission ou trois de ses membres peuvent saisir le Conseil d'État d'une requête dans les conditions prévues par le chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de la justice administrative ;
18. Considérant que la personne faisant l'objet d'une mesure de surveillance internationale ne peut saisir un juge pour contester la régularité de cette mesure ; qu'en prévoyant que la commission peut former un recours à l'encontre d'une mesure de surveillance internationale, le législateur a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement disproportionnée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et le secret de la défense nationale ; que les dispositions des quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 854-9 doivent être déclarées conformes à la Constitution ;
19. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Au 1° de l'article 1er de la loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, sont conformes à la Constitution les articles L. 854-1, L. 854-2, L. 854-5 et L. 854-9 du code de la sécurité intérieure.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 novembre 2015, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Valéry GISCARD d'ESTAING, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
JORF n°0278 du 1 décembre 2015 page 22187, texte n° 2
ECLI:FR:CC:2015:2015.722.DC
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